En Pologne, la confrontation entre les collectivités locales et l’Union européenne s’est intensifiée autour des questions liées aux droits LGBT. En août 2021, plusieurs régions polonaises ont manifesté leur ferme opposition face aux pressions exercées par la Commission européenne concernant ce qu’elles considèrent comme une « idéologie LGBT ». Cette situation illustre les tensions persistantes entre les valeurs traditionnelles défendues par certaines autorités polonaises et les principes d’égalité promus par Bruxelles.
Le bras de fer entre régions polonaises et Commission européenne
Depuis 2019, plusieurs voïvodies (régions administratives) de Pologne ont adopté des résolutions se déclarant zones « libres d’idéologie LGBT ». Ces déclarations, principalement portées par des élus conservateurs proches du parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir, visaient à affirmer leur attachement aux valeurs familiales traditionnelles face à ce qu’ils percevaient comme une pression occidentale.
En réaction, la Commission européenne a pris des mesures concrètes en 2021. L’instance bruxelloise a envoyé des lettres d’avertissement à cinq régions polonaises, menaçant de suspendre plusieurs millions d’euros de financement européen. Cette démarche s’appuyait sur le principe fondamental de non-discrimination inscrit dans les traités européens, considérant que ces zones violaient potentiellement les droits fondamentaux des personnes LGBT+.
Face à cet ultimatum financier, certaines régions ont fait marche arrière, préférant préserver l’accès aux fonds européens essentiels pour leur développement économique. Pourtant, les régions de Małopolska (Petite-Pologne) et Podkarpacie (Basses-Carpates) ont choisi de maintenir leur position, réaffirmant leur opposition à ce qu’elles considèrent comme une imposition de valeurs étrangères à leur culture.
Le gouverneur de Małopolska, Jan Krzysztof Ardanowski, déclarait alors que sa région défendrait « la famille traditionnelle basée sur les liens entre un homme et une femme », tout en rejetant les accusations de discrimination. Une position qui reflétait le sentiment d’une partie significative de la population locale, profondément attachée aux valeurs catholiques.
Une résistance ancrée dans les valeurs traditionnelles polonaises
Pour comprendre cette opposition, il faut considérer le contexte socioculturel polonais. La Pologne reste un pays où l’influence de l’Église catholique demeure prépondérante dans la vie publique et politique. Les questions relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre sont souvent perçues à travers le prisme des valeurs chrétiennes traditionnelles qui considèrent la famille hétérosexuelle comme le fondement de la société.
Le président polonais Andrzej Duda avait lui-même qualifié le mouvement LGBT comme « une idéologie plus destructrice que le communisme » lors de sa campagne de réélection en 2020. Une rhétorique qui avait trouvé un écho favorable auprès des électeurs conservateurs, particulièrement dans les zones rurales où les valeurs traditionnelles restent fortement ancrées.
Les autorités locales polonaises contestataires considèrent que les exigences de Bruxelles constituent une ingérence dans leurs affaires intérieures et une tentative d’imposer des normes culturelles étrangères à la tradition polonaise. Elles affirment ne pas discriminer les individus mais s’opposer à la promotion de ce qu’elles décrivent comme une « idéologie » qui remettrait en question les fondements de leur société.
L’Église catholique polonaise soutient activement cette position. L’archevêque de Cracovie, Marek Jędraszewski, avait comparé « l’idéologie arc-en-ciel » à une nouvelle forme de totalitarisme après la chute du communisme. Cette perception est partagée par de nombreux Polonais pour qui la défense des valeurs familiales traditionnelles constitue un élément central de l’identité nationale.
Les implications européennes d’un conflit de valeurs
Ce conflit entre régions polonaises et Commission européenne dépasse le cadre local pour révéler les fractures existantes au sein de l’Union européenne concernant les questions sociétales. Il met en évidence la tension entre le principe de subsidiarité, qui laisse aux États membres une certaine autonomie dans certains domaines, et l’obligation de respecter les valeurs fondamentales de l’UE, notamment l’égalité et la non-discrimination.
La Commission européenne, sous la présidence d’Ursula von der Leyen, a fait de la défense des droits LGBT+ une priorité, déclarant l’UE comme « zone de liberté LGBTIQ » en mars 2021. Cette prise de position formelle visait directement les « zones sans LGBT » de Pologne et de Hongrie, considérées comme incompatibles avec les valeurs européennes.
La situation polonaise a également révélé les limites des outils dont dispose l’Union européenne pour faire respecter ses valeurs fondamentales. Si la menace de suspension des fonds constitue un levier économique puissant, elle peut aussi alimenter un sentiment anti-européen dans les régions concernées et renforcer l’argumentaire souverainiste des partis conservateurs.
D’autres États membres, comme la Hongrie de Viktor Orbán, ont manifesté leur solidarité avec la Pologne dans ce bras de fer, estimant que les questions relatives à la famille et aux mœurs relèvent de la souveraineté nationale. Cette alliance conservatrice au sein même de l’UE complique la recherche d’une position commune sur ces enjeux sociétaux.
Ce conflit de valeurs illustre les défis auxquels l’Union européenne doit faire face pour concilier diversité culturelle et respect des droits fondamentaux, particulièrement dans un contexte où les clivages Est-Ouest sur les questions sociétales semblent se renforcer plutôt que s’atténuer.

Journaliste de terrain passionnée par les dynamiques locales, Clara sillonne les communes et quartiers pour raconter le quotidien de celles et ceux qu’on n’écoute pas assez. Elle s’intéresse particulièrement aux enjeux d’éducation, de ruralité et d’inégalités sociales.
